Sur le chemin de Compostelle: Pierre le maçon confiné
- F. Brice Dupuy
- 8 sept. 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 févr. 2021

Après quinze jours de marche sur le GR65, Pierre arrive en ce dimanche de mars à Cahors. En cette période de l’année, les gites sont peu nombreux à être ouverts ; celui du Papillon Vert l’est et lui ouvre grand sa … petite porte. Après cette belle étape de Vers à Cahors, Pierre peut se poser et se reposer pour l’étape de demain: Lascabanes. C’est ça, son quotidien depuis deux semaines.
Lascabanes, Montcuq et Moissac, ce sont les étapes que Pierre a planifiées après Cahors,... Mais en ce dimanche 15 mars 2020, les choses vont aller différemment. Christian, le responsable du gite, lui apprend qu’un confinement est mis en place à partir de mardi 17. Soit le marcheur repart vite chez lui ou à l’endroit où il souhaite être confiné, soit il reste ici, les gites en aval vont fermer. Papillon vert peut lui laisser une chambre durant ces prochaines quatre semaines.
Chez chacun de nous la notion de confinement renvoie à bien des choses, voire à des traumatismes antérieurs. En plus du confinement (1) durant la crise sanitaire qui va durer jusqu’en mai 2020, la notion de confinement va faire écho en Pierre aux deux choses suivantes :
2) Les propos de F-O Giesbert dans « La dernière fois que j’ai rencontrée Dieu »: « "Il y a deux catégories d'humains: ceux qui vivent et ceux qui existent. Nos existences sont des chemins bordés de murs qui nous conduisent à la mort comme des couloirs d'amenée d'abattoir. Il faut les démolir si l'on veut vivre, autrement dit profiter du monde qui nous attend derrière.»
Vous avez compris pourquoi ces lignes font écho en lui. Nos existences sont des chemins bordés de murs, il faut les démolir si l’on veut vivre. Sinon, nos existences sont des expériences de confinement.
3) Par ailleurs, la notion de confinement renvoie aussi, en lui, à une réflexion davantage étayée dans un bouquin qu’il a lu: ‘La Planète des Sages’. Nous pensons être conscients, mais la part la plus importante de nos activités mentales est inconsciente (dans un rapport de 10 millions pour 100 ou 100 000 pour 1).
«Alors que plus de 11 millions de bits d’informations sont absorbées par nos cinq sens à chaque seconde, seuls 77 bits d’information seront restitués à notre partie consciente, une demi-seconde plus tard[1]. Le traitement et la sélection de l’information se déroulent en conséquence de façon non consciente. Notre partie consciente gère uniquement les informations que l’inconscient lui a transmises : 77 sur 11 millions…[2]
Et si vous examinez un tant soit peu la construction ou le contenu de votre activité consciente - vous l’avez probablement vu par et pour vous-même - dans nos vies, nous traitons tous, de façon consciente, une grande quantité d’information; nous menons un très grand nombre d’activités qui nécessitent de la cognition et s’appuient sur notre «appareil à penser». Cette cognition a différents rôles (ou fonctions cognitives) : percevoir, prêter attention, mémoriser, raisonner, produire des mouvements, s’exprimer, etc. -. Mais surprenamment la faculté d’arbitrer, choisir, décider n’apparaît pas dans ce type d’étude sur la cognition. Et c’est là que la notion de confinement lui était aussi apparue: est-ce que son « appareil à penser » n’exécuterait pas un certain nombre de tâches un peu trop automatiquement, sur la base d’acquis qu’il déroulerait ? Ne serait-il pas aussi confiné intellectuellement, cognitivement ?
Conséquemment pour Pierre, la période de confinement pour raisons sanitaires va plutôt servir de catalyseur ou de détonateur. Ne suis-je pas toujours confiné, en fait ? Soit parce que je suis les chemins bordés de mon existence (2), sans chercher à faire un saut de côté, à démolir un mur pour aller un peu voir ailleurs ? Soit (3) parce que j’utilise de moins en moins mon intelligence à des activités cognitives personnelles, enrichissantes, nouvelles, créatrices, mais que j’ai tendance à suivre des schémas de pensées, des modes de fonctionnement, des habitudes, à rechercher du réconfort, le zéro risque, la routine… et à m’appuyer sur l’intelligence artificielle d’une app, d’un robot, d’un algorithme. Soit enfin (1) parce que je suis matériellement, sanitairement confiné entre quatre murs, ici, sans autorisation de sortie.
Que le confinement soit alors simple ou multiple, seulement physique ou existentiel, va alors avoir lieu chez Pierre, une réaction, une prise de conscience, une pulsion de survie. Une goutte est en train de faire déborder le vase de son liquide rachido-crânien. Le choc mondial dû à la pandémie va arriver jusqu’à lui comme un électrochoc, ou une mini réplique sismique.
Déjà Pierre s’interrogeait sur la raison pour laquelle les algorithmes sur Internet lui demandaient de prouver qu’il n’était pas un robot (sous-entendu un algorithme exécuté sur des puces en silicium), et maintenant il se demande si l’on n’est pas en train de ranger dans un placard le même robot (ou humain robotisé) que l’on suspectait qu’il fût. Allez hop, au placard ! Confiné !
Alors STOP ! Non, Pierre n’est pas un simple algorithme humain dans son enveloppe charnelle (un algorithme sans libre arbitre). Non, son existence n’est pas prédéterminée par les conditions de sa naissance et son application à suivre les chemins tracés et bordés jusqu’à l’épuisement et sa mort. Non, son intelligence ne sera pas utilisée à uniquement reproduire des modes de fonctionnement connus et confortables, ou à contrôler qu’il respecte bien partout des règles ou des lois en nombre toujours croissant.
STOP !
STOP !
Si Pierre en est là, c’est que la lumière lui est parvenue ! C’est qu’il est en train d‘assistez à la mort du vieil homme en lui ! Un zeste d’éveil est venu lui chatouiller les neurones.
Puis la date du dé-confinement approche et la question qui le taraude maintenant est la suivante : "me dé-confiner pourrait-il se faire seul ou est-ce que ça nécessitera un minimum de fraternité, de solidarité, d’équité, voire davantage de liberté républicaine ? Dis autrement, mon réveil se fera t-il en utilisant l’escalier en coli-maçon ou l’ascenseur du franc-maçon ?"
Sortir du seul confinement matériel peut se faire en prenant cet escalier hélicoïdal en colimaçon, marche après marche, masque après masque, la main sur la rampe, le téléphone sur la tempe. Avec un peu de verticalité, et beaucoup d’horizontalité.
Mais réussir à sortir d’un confinement multiple (matériel/consumériste, intellectuel/dogmatique, existentiel/ontologique) nécessite bien davantage. Une franche transformation, la formation d’une franche trans-solidarité, les transes d’une franche maçonnerie solidaire… Beaucoup plus de verticalité, de spiritualité, de fraternité …
Pierre s’imagine, il est sur le parvis d’un bel édifice - cathédrale, mosquée, synagogue, temple peu importe. Il est dehors et pourtant géographiquement confiné, matériellement masqué, intellectuellement dogmatisé, existentiellement emmuré. Il observe les portes ouvertes devant lui : à l’intérieur de l’édifice, va-t-il se sentir encore moins libre et davantage encore confiné? S’il entre, n’est-ce pas échanger un ‘chemin bordé de murs conduisant à la mort’ contre ‘quatre murs sans plus aucun chemin’, et induisant partout la mort ?
Selon là où vous êtes confiné, aux portes du temple/édifice, les messages peuvent varier : des colonnes portant Saint Pierre, Saint Jérémie et Saint Paul, d’autres portant l’inscription Jakin et Boaz. Un fronton hémicirculaire ou triangulaire, rappelant l’élévation de Yeshoua l’Essénien Oint ou la réflexion de Socrate l’Athénien (Connais-toi-même et tu connaîtras l’Univers et Les Dieux) ou les outils des maçons opératifs, bâtisseurs de cathédrale.
Pour Pierre, c’est là, devant ces portes, dans ce cabinet de réflexion grand ouvert, qu’a lieu son premier travail de dé-confinement : est-ce qu’il reste un profane, prostré, qui proteste contre le prosélytisme ou est-ce qu’il s’initie inopinément aux intrigues contre l’iniquité? Allons, itérons sans allitération: est-ce qu’il rentre dans le temple ou est-ce qu’il reste sur le parvis? Plusieurs raisons peuvent l’inciter à franchir les portes du temple : la curiosité, le communautarisme / corporatisme ou l’appel du sacré (le sacré est ce qui appartient au domaine séparé, intangible et inviolable du religieux, de l’esprit). Plusieurs raisons donc mais une seule lui sera salutaire :
· « Si la curiosité t’a conduit ici, va t-en! ». Celui ou celle qui est avide de connaître quelque chose qui doit rester caché aux autres ne cherche généralement pas de la bonne façon ou dans la bonne direction ….
· Si le communautarisme t’y conduit, retourne sur tes pas. Il ne s’agit pas de construire d’autres murs au sein d’une enceinte, un autre confinement au sein du plus grand. Il ne s’agit pas de rejoindre une secte au sein d’une société d’insectes. Le dé-confinement, c’est aussi se défaire finement des cons[3]…..
· Et si c’est le sacré qui t’appelle, tu comprends alors, forcément, que les messages, les figures, les représentations sculpturales qui t’accueillent sont des symboles et non des icônes, que tu ne dois pas les prendre au premier degré ou en tout cas pas comme une doctrine, mais comme des outils et une démarche.
Des marches vers le dé-confinement …
C’est évidemment le sacré qui l’appelle. Il est alors saisi par des trans-… Parce qu’à la trans-lation physique (il va passer d’un espace à un autre, séparés par des portes) sont associées :
· une trans-lation parabolique: il est encore confiné, masqué, cloué sur ce parvis extérieur, ouvert et sans mur apparent, puis il décide de passer ces portes, d’entrer dans un temple, dans un intérieur apparemment bien emmuré, pour se dé-confiner, se dé-masquer, se dé-clouer de sa Croix …
· une translation sémantique du vouvoiement au tutoiement: ‘si la curiosité t’a conduit’, ‘connais toi-même’…
Pour se trans-former, faut-il toujours se trans-later ou entrer en trans- ?
La suite, c’est Pierre qui se l’écrit et qui, le cas échéant, voudra bien la partager. En geôle, en gîte ou en loge, en atelier ou sans hâte à lier, enjoué ou enroué, avec cent initiés ou sans inimitié …
[1] Cf travaux des auteurs Tor Norretranders, ou G.W.Farthing.
[2] Anne-Aël Gombert http://www.viadeo.com/fr/groups/detaildiscussion/?containerId=002118f5rqs5ri6l&forumId=0021y5lbtan6kffx&action=messageDetail&messageId=0029ktnhxv2tobn
[3] jouer avec les syllabes peut amener de mauvaises surprises
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