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Philosophie/Comment en est on arrivé la?

  • Photo du rédacteur: F. Brice Dupuy
    F. Brice Dupuy
  • 20 mai 2022
  • 7 min de lecture

Je poste ce billet, même si initialement il ne visait rien d’autre que de me permettre ce temps de réflexion : « comment en est-on arrivé là ? », me dis-je ce matin.


Comment en est-on arrivé à imposer la digitalisation de tous les services administratifs, alors qu’il reste en France un analphabétisme numérique impressionnant ? (Il y a 5-6 ans, la France était classée treizième en matière d'illectronisme chez les 16-29 ans au sein de l'Union Européenne) ?


Comment en est-on arrivé à imposer que les demandes de titre de séjour soient effectuées en ligne, et en Français, alors que ce besoin ‘vital’ concerne des étrangers pas forcément francophones et bien le plus souvent avec peu de moyens numériques ?


Comment en est-on arrivé à remplacer tous les caissiers / caissières par un ‘self-service’ d’enregistrement de la marchandise achetée puis d’encaissement, sous la supervision de contrôleurs et d’agents de sécurité ?


Comment en est-on arrivé à préférer les commandes et livraison en ligne, sous prétexte de la rapidité du service, en oubliant honteusement que les petites mains derrière ne sont pas systématiquement celles de robots, mais encore beaucoup trop souvent de congénères précarisés ?


Comment en est-on arrivé à utiliser cet outil permettant l’accès à tout le savoir, majoritairement par le seul biais des algorithmes GAFAM (NATU ou BATX) qui communautarisent, qui filtrent les réponses en fonction de vos usages ou centres d’intérêt, et donc qui vous maintiennent dans votre bulle cognitive ?


Comment en est-on arrivé à transformer cet outil fascinant qu’est donc Internet en un outil de productivisme, déshumanisant ? A quel moment de l’histoire de l’humanité, avons-nous basculé dans cette ère technologique, numérique, robotique pour laquelle le bien, le produit, la marchandise semblent mieux valorisés que l’humain ?


La machine est en marche, le paquebot atteint sa vitesse de croisière. Alors un individu comme Ricky (Kris Hitchen) dans le film de Ken Loach s’entend dire : « Sorry, we missed you… » [1]. Ou les employés d’Amazon s’entendent dire que les hommes et femmes n’ont plus besoin de postuler (humans need not apply). « Et c’est une très bonne chose : remplacer le travail humain par des muscles mécaniques libère l’employé d’avoir à se spécialiser et permet à tout le monde de mieux s’en sortir. » Mais d’où viennent ces arguments ? Quelle étude sociologique viennent l’étayer, sachant la ‘sociologie d’Internet’, en tant que sous-discipline de la sociologie, n’a vu le jour que tout récemment[2].


Pouvait-on construire et lancer ce paquebot qui introduisait de nouvelles formes d’interaction et de sociabilité, qui élargissait l’espace public et contribuait à un renouveau démocratique, sans qu’il vienne de surcroît écraser les barques, nacelles, petits bateaux, rafiots, embarcations qui gravitaient autour et qui rendait la relation aux divers services plus humaine ?


Pouvait-on développer cet outil merveilleux soutenant l’économie des savoirs ainsi que de nouvelles formes de sociabilité et de démocratie (la culture), sans l’utiliser pour économiser sur les autres outils (le productivisme) ? Nouvel outil économique pour plus de culture ou économie sur les outils pour plus de productivisme ?


Je ne suis pas économiste, ce qui explique que je ne comprends pas pourquoi il fallait que le paquebot Internet embarque à la fois les fonctionnalités de cet accès au savoir et à de nouvelles formes de sociabilité, et les fonctionnalités d’automatisation de tâches trop spécialisées – automatisation déshumanisante. Pourquoi ce paquebot devait-il être à la fois le fleuron de l‘Internet economics (l’économie de l’Internet) et celui de l‘economizing thanks to Internet (Faire des économies grâce à Internet). Même cette question contient un biais. Elle introduit une dualité là où il faudrait un dualisme. Le développement de la société humaine ne se cantonne pas à un choix cornélien entre (accéder au savoir, élargir son champ cognitif et social) ou (maintenir des tâches trop mécaniques et devoir se spécialiser) …


Je ne suis ni de formation économiste, ni sociologue, je suis un ingénieur. Mais avant toute chose, je suis un humain… humaniste. Un individu qui met l'homme au centre de ses préoccupations, qui vit une expérience humaine avec ses pairs, qui observe sa vie, la leurs, la condition humaine, et qui essaie d’aider : aider mes enfants à comprendre ce qui est important dans la vie, aider notre accueilli venant de Kaboul dans ses démarches kafkaïennes, s’aider à se connaître soi-même puis transmettre.


Je ne suis ni de formation économiste, ni sociologue, je sais peu de choses. Et comme disait Gabin, je sais même que l’on ne sait jamais. Mais je pense savoir que l’humain est bel et bien constitué d’un corps, d’une âme et d’un esprit, que le travail[3] a été inventé par lui pour l’aider à vivre (à nourrir son corps) dans la société où il se trouve, que l’âme couvre quelque chose de très personnel et que le développement de son esprit est longtemps passé par les fourches caudines des institutions religieuses, dogmatiques et très souvent claniques. Je pense savoir que l’homme a bel et bien un corps, une âme et un esprit mais qu’il n’a eu de cesse de chercher, avant toute chose, à répondre à ses besoins physiologiques (le premier niveau 1 de la pyramide de Maslow).


Et je pense que la société, grâce au progrès indéniable que constitue l’arrivée de l’Internet, pouvait se limiter à un seul usage de sa nouvelle technologie (satisfaire les besoins d’accomplissement de l’individu, lui permettre un accès au savoir), sans en plus l’utiliser pour augmenter la productivité des outils permettant de satisfaire les besoins physiologiques.


Mon questionnement en appelle un autre, qui d’ailleurs est probablement le même : l’évolution non pas de l’espèce mais de la condition humaine est-elle le fruit de hasards, de découvertes et d’opportunités, ou est-elle réfléchie, anticipée, orientée ? Est-ce le hasard d’une invention technique - celle de la machine à vapeur au début du XVIIIe siècle – qui a permis d’évacuer les eaux des mines de charbon, puis fut perfectionnée pour donner naissance à la civilisation industrielle ? Ou est-ce le constat des limites des conditions de travail du XVIIIème qui aurait poussé certains individus (politiciens, ingénieurs, …) à chercher et inventer une autre technologie pour l’homme ? Plus loin encore dans le passé, est-ce parce que les hommes de « l'âge de la pierre taillée » (paléolithique) qui vivaient de la chasse et de la cueillette ont commencé vers -8000 à se sédentariser dans une région qu'on appelle « le Croissant Fertile », que l'élevage et l'agriculture sont apparus ? Ou la naissance de la révolution néolithique (ou « âge de la pierre polie ») est-elle due à quelques sages, respectés et visionnaires, qui ont compris que la sédentarisation et l’invention d’outils polis étaient la seule solution au problème de la condition humaine, très fragile ?


J’ai la faiblesse de penser que dans la plupart de ces cas (comme celui d’ailleurs de la naissance de l’ère numérique) l’invention, la découverte, parfois le hasard (comme le hasard de la découverte de Benjamin Franklin, utilisant un cerf-volant pour collecter les charges électriques du nuage lors d’une tempête) sont antérieurs à la recherche de solutions pour améliorer la condition humaine. A mes questions plus haut (comment en est-on arrivé à utiliser Internet dans des conditions qui dévalorisent l’humain ?), des éléments de réponse pointent leur nez : ce n’est ni la volonté d’une petite élite dirigeant le monde (pas de conspirationnisme), ni l’évolution naturelle de l’humanité vers un transhumanisme ; c’est tristement le simple fruit d’un modèle de société bâti sur la croissance à tout prix, le consumérisme et la technologie comme seule réponse.


Comment en est-on arrivé là, demandais-je ? Bah on en est arrivé là justement à cause du ‘on’. On (pronom personnel et indéfini) pense que la civilisation industrielle a été un progrès et a amélioré le niveau de vie de nombreuses personnes. Puis on a vu un net progrès grâce à l’introduction de services (le secteur tertiaire), marchands ou non marchands. Puis on a été d’accord pour introduire un secteur quaternaire, comme manifestation du bénévolat/volontariat… Et cetera, et cetera.


Comment en est-on arrivé là ? Je pense savoir que l’humain est bel et bien constitué d’un corps, d’une âme et d’un esprit, qu’il a dû consacrer beaucoup d’effort, pour collectivement réussir à maintenir en vie ces millions puis ces milliards de corps à nourrir, qu’il en a oublié son âme, et que, devant l’échec des religions à donner un sens universel et œcuménique à sa vie, il a construit avec son esprit un modèle de fonctionnement en société qui pallie le manque de sens spirituel, qui le rassure. Tout ceci sous la bannière du ‘on’, du système, de la ‘masse’ rajouterait Ortega y Gasset.


Le paquebot est lancé, il embarque quasiment huit milliards d’individus et se dirige irréversiblement vers ce pôle d’attraction qu’on s’est fixé et qui semble donner du sens - c’est bien ce que l’on pense - à cette vaste entreprise humaine. Vous ne vous y sentez pas bien ? Sorry, we missed you… Vous pensez que le sens de l’expérience humaine est ailleurs ? Sorry, we missed you … Vous avez lu ‘la révolte des masses’ et vous regrettez que "la valeur que l’[on] s'attribue - bonne ou mauvaise - ne repose plus sur une estimation justifiée de qualités spéciales, que, se sentant comme tout le monde, [on] n'en éprouve cependant aucune angoisse, se sentant à l'aise, au contraire, de se trouver identique aux autres"… Sorry we missed you …



[1] « Désolé, nous sommes passés et vous n’étiez pas là … » [2] « Sociologie d’internet », Jean-Samuel BEUSCART, Éric DAGIRAL, Sylvain PARASIE, Paris, Armand Colin, 2016, 224 p. [3] Le travail serait ce moment qui permet à l’homme d’obtenir, directement ou indirectement à travers le troc ou un équivalent général, ce qui lui est nécessaire pour vivre dans la société où il se trouve. L’économie comme le travail existeraient en quelque sorte, indépendamment de tout rapport social pour les organiser, puisqu’ils seraient susceptibles de l’être par des rapports sociaux différents au cours de l’histoire, et au sein de chaque société.

 
 
 

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