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LPdS - Quel est le propre de l'homme? (chapitre 1)

  • Photo du rédacteur: F. Brice Dupuy
    F. Brice Dupuy
  • 29 avr. 2020
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 mai 2020


Je fais souvent le même rêve ces derniers temps. Un rêve étrange … et pénétrant, si j’ose m’exprimer comme Paul Verlaine. Ce matin, j’ai recherché les Poèmes Saturniens dans la bibliothèque et je relis ‘mon rêve familier’ :

«Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. »
- Paul Verlaine

Moi, je fais souvent le rêve d’une espèce inconnue, que j’aime et qui m’aime. Une étrange et pénétrante vision selon laquelle un changement de notre espèce est en train d’avoir lieu. Pourtant, j’en ai déjà donné une compréhension dans un ouvrage intitulé ‘L’humanité se meurt. Et vous, comment allez-vous? ’. L’étrange vision persiste…


Le plus désagréable dans ce rêve n’est pas de réaliser que l’humanité va disparaître; cette vérité est inscrite dans la vie même: tout naît, meurt et renaît. Rappelons-nous la citation, même si elle est attribuée à tort à Antoine Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Le vivant est en perpétuelle évolution, en perpétuelle transformation, en perpétuel apprentissage. Et paradoxalement, c’est précisément cette caractéristique de la vie que l’Homo Sapiens – du moins celui qualifié d’Occidental - nie, réfute, rejette, désavoue, dément, révoque. J’entends déjà : « Quelle hérésie, quel sacrilège! Quel cynisme, quel nihilisme ! Ne sais-tu pas, individu X, que nous sommes effectivement l’espèce la plus évoluée[1], celle arrivée au sommet de l’évolution darwinienne. Il y a même parmi nous un peuple élu de Dieu, Elohim ou Yahvé ! Comment peux-tu t’exprimer ainsi et surtout le partager avec tes Frères et Sœurs ?» Je vous le disais : non seulement, nous avons des difficultés à accepter la disparition d’un individu qui nous est proche, mais nous ne réussissons pas non plus à entendre que notre propre espèce est en voie de disparition, que nous laissons à nos propres enfants un environnement de vie très, très difficile.


Non, le plus désagréable n’est pas de réaliser que notre espèce évolue pour peut-être laisser la place à une autre ; le plus désagréable est de se penser seul à percevoir une telle vision apocalyptique et ainsi de sentir désarmé, incompris, isolé, hors de son temps.


Une parcelle de lumière qui perce parfois dans ce rêve récurrent, étrange et pénétrant, parvient à me souffler que nous serions au contraire nombreux à le ressentir, à le percevoir, à ne pas quoi savoir en faire, à ne pas oser le partager. Nous serions nombreux à savoir dans nos tripes et dans nos cœurs que l’ère actuelle – à laquelle, en plus, nous avons donné notre nom, l’Anthropocène, probablement en guise d’épitaphe ! – s’achève pour laisser place à une autre, que certains osent timidement désigner par ‘Age d’Or’. Une ère où la Nature aura retrouvé ses droits, où l’intelligence ne sera ni artificielle, ni humaine, mais … spirituelle. Nous serions nombreux à le ressentir mais ne pas l’évoquer, nombreux à le vouloir mais le craindre à la fois, nombreux à nous sentir seuls, face à cette vision, et semblables par ailleurs.

Qu’en est-il exactement ? Qu’est-ce qui aurait fait le propre de l’homme, et qui s’effacerait progressivement, insidieusement et inéluctablement ? « Rire, répondrait Rabelais ! Rire reste le propre de l’homme ». Depuis, notre illustre ancêtre a été démenti : les chimpanzés et les bonobos rient, ainsi que les rats!


Marina Davila Ross, zoologiste et psychologue, est spécialisée dans l’étude des rapports entre primates et êtres humains à l'université de Portsmouth. Ses collègues et elle ont effectué plus de 800 enregistrements, dans différents zoos, chez 22 jeunes gorilles, chimpanzés, bonobos, orang-outan et chez un siamang. Ces jeunes animaux se mettent très facilement à rire lorsqu'on leur chatouille les pieds, les paumes des mains ou les aisselles.

Ils ont ensuite comparé ces résultats à ceux de trois bébés humains enregistrés dans les mêmes conditions, en les classant en fonction de l’âge. Les chercheurs ont ainsi établi que le rire n'est pas une caractéristique propre à l'homme!


Quant à nous, le rire est devenu moins spontané, davantage codifié, voire un métier… Vous souvenez-vous quand vous avez ri la dernière fois ? Je ne parle pas de ce rire jaune que nous avons tous eu à l’annonce de la pandémie et du confinement dans un pays si distant de l’origine du mal. Quand vous êtes-vous esclaffé à vous en mordre les lèvres, quand avez-vous explosé d’un éclat de rire qui a touché tous vos convives ?


Et même si le rire avait été le propre de l’homme, il aurait été bien difficile d’établir une quelconque corrélation entre la fréquence peut-être baissière de nos rires d’homme et … notre éventuelle disparition! Ou alors, il aurait fallu en rire à gorge déployée ! Non, Sieur François Rabelais, le propre de l’homme n’est pas le rire …


«C’est la lecture! » corrigent des auteurs du XXème siècle, comme Madeleine Chapsal. J’aurais bien aimé qu’ils aient raison. Mais quelques statistiques semblent annoncer que l’homme lit de moins en moins, au profit d’un média plus facile à consommer : la vidéo, le ‘tube’ et le jeu vidéo.


Pourtant, la lecture nourrit notre vie intérieure. Elle peut s'amorcer partout, à la plage, sous un arbre, au bureau... C’est à chaque fois une nouvelle rencontre avec la vie d'autrui. La lecture, notamment de romans ou de poésies, est une expérience vicariante, c’est-à-dire qui nous permet de bénéficier de l’expérience d’autrui, d’accéder à sa vie intérieure pour enrichir, éclairer ou bousculer la nôtre. Elle est aussi une manière de pratiquer la psychologie![1]



Et là, pour le compte, nous pourrions trouver une corrélation entre l’éventuelle baisse de la lecture chez nous les humains et les scénarios de notre disparition: en lisant moins, l’homme se nourrit moins de science-fiction et ainsi il anticipe moins l’avenir possible de son espèce ![2]


La disparition du rire ou de la lecture ne saurait être la cause de notre évincement. Robert Paris se joint (involontairement…) à nous, et raconte[3]: « On l’a bien cherché, le propre de l’homme, et la vérité nécessite de dire qu’on ne l’a trouvé nulle part. Des auteurs qui avaient affirmé l’avoir trouvé ont été contredits par les recherches scientifiques ultérieures et aucun critère simple n’a pu être dégagé. Ni le rire, ni le langage, ni les outils, ni la station debout, ni l’organisation sociale, ni la capacité de chasser de manière organisée et planifiée, ni le gros cerveau, ni la capacité de calculer, ni la conscience, ni l’éducation des enfants, ni la raison, ni l’affectivité, ni l’intelligence, ni les émotions, ni la souffrance pour soi et pour les êtres aimés, ni le rêve, ni la capacité de faire des projets, ni les maîtrise des outils, ni la culture, ni le travail, ni le goût, ni … même les gènes ! Et même pas la violence, la capacité de destruction, les guerres... » Circulez, il n’y a plus rien à voir de ‘propre chez' l’homme.


Comme Robert Ford dans la série Westworld, j'ai lu un jour «une théorie selon laquelle l'intellect humain était comme des plumes de paon. Juste un affichage extravagant destiné à attirer un compagnon. Tout l'art, la littérature, un peu de Mozart, William Shakespeare, Michel-Ange et l'Empire State Building. Juste un rituel d'accouplement élaboré». Juste un rituel d’accouplement élaboré ! Aux oubliettes, le Cogito ergo sum (« je pense donc je suis » René Descartes); si je pense, c’est avant tout pour élaborer une façon d’attirer mon partenaire (non genré). Rien de mieux pour nous faire ravaler tout sentiment de supériorité, n’est-ce pas?


Mais où est donc le propre de l’homme? Reste le libre arbitre... Serions-nous vraiment les seuls individus du règne animal capables de prendre librement des décisions, de faire des choix ? J’en doute, mais là n’est plus mon propos. Avons-nous gardé notre entière faculté de libre arbitre ou ne serions-nous pas en train, depuis quelque temps, de la déléguer ? Si le propre de l’homme est sa faculté de faire librement des choix qui ainsi le sortent d’une condition humaine prédestinée et déterministe d’une part, et des aléas du hasard d’autre part, c’est en analysant ce qui reste de cette faculté que l’on pourra effectivement évaluer si l’humanité est en danger… d’extinction.


Alors observons-nous! Prenons-nous encore des décisions librement dans nos vies respectives ? Petite parenthèse incisive : il a été démontré par les travaux expérimentaux de Benjamin Libet que la conscience (humaine tout du moins) ne serait pas causale mais suspensive : elle ne permettrait pas de prendre des décisions mais seulement d’annuler des décisions déjà prises par le cerveau. Notre libre arbitre consisterait davantage à librement annuler la poursuite d’activités cérébrales et motrices déjà lancées que de choisir une nouvelle voie. La conscience – qui plus est le libre arbitre – est toujours précédée d’activités inconscientes.



Si l’interprétation des travaux de Libet est validée, nous sommes à nouveau devant une découverte qui renforce nos trois ou quatre blessures narcissiques d'Homo Sapiens Sapiens! Diantre ! Non seulement la planète sur laquelle nous vivons n’est pas le centre de l’Univers, non seulement notre espèce Homo Sapiens est en fait issue de celle des Grands Singes, non seulement notre moi ne contrôle qu’une faible partie de nos activités cérébrales, mais en plus - quatrième blessure - il ne les contrôle peut-être pas du tout!


Là, je dois poser la plume. Résumons-nous: l’homme n’a pas de caractéristiques propres (et je rajoute: c’est même plutôt une sale bête); son ancêtre est un grand singe un jour descendu de l’arbre, et plus récemment descendu de trois piédestaux sur lesquels il s’était lui-même installé.


Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse (1916) :

 « Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine ait déjà annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s’est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace’ et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique. Les psychanalystes ne sont ni les premiers ni les seuls qui aient lancé cet appel à la modestie et au recueillement, mais c’est à eux que semble échoir la mission d’étendre cette manière de voir avec le plus d’ardeur et de produire à son appui des matériaux empruntés à l’expérience et accessibles à tous. D’où la levée générale de boucliers contre notre science, l’oubli de toutes les règles de politesse académique, le déchaînement d’une opposition qui secoue toutes les entraves d’une logique impartiale ».

Et la dernière blessure de l’homme, en date, pourrait concerner cette faculté supérieure d’entre toutes, l’‘art royal’ dont l’homme pense être le seul à en avoir la maîtrise: la conscience! A savoir : nos prises de décision, conscientes, interviendraient en fait quelques 500 ms après le début de nos activités cérébrales inconscientes. Vous imaginez ?


L’art de cette sale bête qu’on adore est aussi de remettre en cause ce qui le dérange! Avant de poursuivre, je décide donc de m’observer quelques temps. Et je vous inviterais volontiers à faire de même: posez cet ouvrage et observez-vous. Par exemple pendant 24 heures…




[1] Annoncent Christophe André et France Culture (2017)

[2] Je vous saurai gré de votre indulgence pour ce raisonnement bien alambiqué ! [3] https://www.matierevolution.fr/spip.php?article4270

 
 
 

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