LPdS - Apaisantes croyances ou sages prières ?
- F. Brice Dupuy
- 30 avr. 2020
- 13 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 mai 2020

Je me réveille en pleine nuit. Ce rêve étrange est bien trop pénétrant: l’espèce inconnue - que j’aime et qui m’aime - m’a fait participer à l’un de ses offices… religieux. J’en ai ressenti une paix intérieure incroyable. L’amour était partout. « Toi qui est le Bien, le Beau, le Bon, le Véridique, Salut à toi » entends-je encore …
Une forme d’intelligence supérieure m’enverrait-elle un message, par le biais des rêves ? J’ai l’intuition, la prenante vision que l’humanité telle qu’elle est aujourd’hui va disparaître, et me soufflerait-on que la nouvelle, la suivante, cette belle inconnue que j’aime et qui m’aime déjà, sera spirituelle ?
J’entends André Malraux me préciser ceci : « On m’a fait dire que le XXIe siècle sera religieux. Je n’ai jamais dit cela, bien entendu, car je n’en sais rien. Ce que je dis est plus incertain. Je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire ». Merci Monsieur Malraux… Mais ce rêve, que veut-il me signifier ? Je ne réussis pas à m’endormir. Ce rêve était très pénétrant, il reste très prégnant.
Un flot d’interrogations m’immerge : la religion est-elle une dimension constitutive de l’existence ? L’homme est-il, par nature, un animal religieux ? Le religieux est-il un phénomène suffisamment constant et universel pour définir l’homme ? Est-il propre aux seuls êtres humains ? Et surtout, avec ce phénomène, tient-on un phénomène explicatif des autres phénomènes caractéristiques de l’humain ? Le religieux est-il le lieu d’intelligibilité à partir duquel on peut comprendre l’humain ? Est-ce un phénomène suffisamment fondamental pour permettre de comprendre les conduites et les sociétés humaines ? Est-il un fait de nature ou de culture ?[1]
Je me souviens très clairement que les auteurs de la série Westworld ont fait dire, par la voix de Dolores Abernathy, que notre cortex cingulaire antérieur est l’aire de la croyance chez les humains. Je me lève sans faire de bruit, rejoins mon bureau avec la première tasse de café de cette journée bien matinale puis je commence mes recherches :
Pour la Science, Sébastien Bohler / 13 mai 2009
Une zone du cerveau fonctionne au ralenti quand on croit en Dieu : le cortex cingulaire antérieur. Quel est son rôle ? Cette zone cérébrale sert à anticiper l’avenir, et à nous avertir si les événements qui ont lieu correspondent à ce que nous attendions.
Des neurologues de l’Université de Toronto au Canada ont placé des individus, croyants ou athées, dans un scanner, et leur ont fait passer des tests mentaux où il faut anticiper une réponse, et ensuite prendre connaissance de la réponse correcte. Chez les athées, le cortex cingulaire s’active fortement en cas d’erreur : il signale que le résultat n’est pas conforme à la prédiction.
Chez les croyants, il s’active nettement moins. Lorsqu’un événement non conforme à leurs attentes se produit, cela déclenche une réaction moins intense que chez les autres.
En quoi la religion réduit-elle les réactions à l’imprévu ? Dans la plupart des systèmes de croyance, un événement non conforme aux attentes peut toujours être reconsidéré, et interprété de façon à cadrer avec le canevas théorique de la foi. Si un ami a trouvé la mort sur la route, si on vient de découvrir une maladie incurable chez un autre, c’est que Dieu l’a voulu. Et si l’on ne trouve pas d’explication, cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas : c’est que les desseins du Seigneur sont impénétrables.
Cette vision du monde apporte évidemment des bénéfices inestimables : un cortex cingulaire antérieur qui fonctionne au ralenti entraîne moins de tension psychique ; on se préoccupe moins des incertitudes qui entourent l’avenir, on cherche moins à explorer les possibles et à guetter les signes qui confirment ou infirment ses prévisions. On est plus fataliste, mais moins stressé.
La religion est d’ailleurs considérée par nombre de chercheurs comme un anxiolytique, qui se serait répandu dans les différentes cultures en raison de cette vertu apaisante, aidant à affronter les craintes liées à la mort, au caractère imprévisible et incontrôlable de l’existence. À condition d’y croire...
Ah la croyance … J’avais déjà une opinion plutôt négative concernant la croyance, l’intuition qu’elle formatait le système de pensées du croyant, de l’adepte. Je lis maintenant qu’elle a néanmoins une vertu apaisante. « Ainsi, on est plus fataliste, mais moins stressé ». Je ne veux pas mettre en doute les résultats des neurologues, mais je le fais pour l’interprétation qui en est faite. Diriez-vous, Madame, Monsieur, qu’il est plus stressant d’être un individu qui philosophe et doute en permanence que d’être un individu fataliste qui ainsi s’entoure de moins d’incertitudes ? Je pensais être quelqu’un sans stress, sans trop d’anxiété, mais aussi sans dogme, sans carcan philosophique, religieux ou politique. Y aurait-il là une antinomie, une impossibilité physiologique ?
"Mon ami, soit tu es serein, apaisé, confiant parce que tu crois en Dieu ou en un système bien organisé et cohérent de pensées (comme les sciences), soit tu n’en es pas entièrement satisfait, tu doutes de la parfaite véracité de ces modèles, tu penses que la réalité est plus complexe que cela, et que l’évolution n’a d’ailleurs pas encore abouti, mais alors tu vis dans le stress, avec davantage d’anxiété à affronter et davantage d’anxiolytiques chimiques à ingurgiter … »
Bon… c’est le moment de redescendre dans la cuisine, de se resservir ou de faire quelques exercices physiques! Mon épouse m’y rejoint, dans son plus simple et plus bel appareil[2].
« Bonjour chéri... Dis, qu’est-ce qui t’arrive, en ce moment ? Tu es bien matinal aujourd’hui.»
Je lui explique mon rêve étrange et pénétrant, je précise qu’il ne s’agit pas d’un rêve à propos d’une femme (contrairement au ‘rêve familier’ de Paul Verlaine) mais de la vision d’une espèce inconnue, nouvelle, qui est venue remplacer l’espèce humaine.
« Ce que tu as déjà écrit et décrit dans ‘L’humanité se meurt…’ te poursuivrait-il ?
- C’est possible… Tu le sais: je suis persuadé que nos systèmes de croyance nous ont aidés aux débuts de l’humanité, mais maintenant, selon moi, ils nous restreignent, ils nous enferment, ils nous abêtissent. J’en suis persuadé, mais je n’arrive pas bien à l’expliquer, à le démontrer…
- Et c’est important ?
- Pour moi, oui… Encore mon immodestie habituelle.
- Et tu crois que … »
En commençant sa phrase, mon épouse se rend compte qu’elle utilise aussi des locutions relatives à la croyance, elle préfère ne pas poursuivre.
« Parle-moi justement de tes croyances, chérie. »
Nous savons tous les deux que je les connais déjà et qu’elle reconnaît la quasi absence des miennes, mais l’expliciter à nouveau va peut-être m’aider. Je lui précise qu’hier j’essayais d’analyser si j’exerçais vraiment mon libre arbitre ; aujourd’hui, j’aimerais comprendre si nos actes et nos pensées sont dépendants de nos systèmes de croyance.
Nous savons aussi tous les deux que le verbe ‘croire’ est extrêmement versatile. Il concerne aussi bien le café du commerce (« Crois-tu ?», «Je crois bien! », «Incroyable !») que l’engagement le plus profond, celui dont Pascal disait qu’il n’en croirait que les témoins qui se font égorger. En effet, et a priori, tout semble opposer des propositions comme croire «qu’il va pleuvoir», ou «Julien ne va plus tarder», à d’autres propositions comme «croire ce que disent les partis politiques, ou telle idéologie, ou les églises», ou «croire en Dieu».[3]
Ce dont il est question aujourd’hui ne concerne pas, au premier chef du moins, le contenu des traditions religieuses et spirituelles, mais cette faculté ou cette fonction essentielle que possède l’homme d’anticiper ou de combler une réalité absente. Puisqu’il est impossible de prouver que l’existence de telle ou telle ‘réalité’ clairement absente est indubitable, évidente, indiscutable, l’homme comble par des signes extérieurs ou des pensées intérieures qui donnent l’illusion de sa présence. Et ce faisant, à tort ou à raison, il se libère d’une anxiété, d’une incertitude, d’un questionnement philosophique.
Et moi, en quoi est-ce que je crois, personnellement? Pas grand-chose, justement. Je n’ai pas besoin qu’une réalité clairement absente réapparaisse néanmoins dans mon système de pensées. A ce propos, vous connaissez probablement la fameuse réponse de Pierre-Simon Laplace, nommé membre du Sénat à sa création et publiant cinq volumes sur la ‘Mécanique céleste’, à Napoléon, qui lui fit remarquer qu'il n'y était fait nulle part mention de Dieu: « Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse ».
Mon système de pensées s’est construit sous l’égide des écoles de la République, et en particulier sous celle d’une des plus prestigieuses d’entre elles. J’y ai appris à raisonner, à conceptualiser, à démontrer, à expérimenter, à philosopher, à argumenter. J’ai appris à utiliser des hypothèses, pas des croyances; des axiomes, pas des vérités révélées.
Il y a quelques années, j’ai lu un article[4] qui m’a beaucoup éclairé et que je pense être juste :
Foi et Croyance
Étymologiquement, le mot foi nous vient du mot latin fides n’ayant aucune connotation religieuse et qui lui-même est rattaché à la racine indo-européenne bheidh, exprimant la notion de confiance et de persuasion.
La croyance est souvent confondue avec la foi, toutes deux associées à tort à quelque chose de fondamentalement religieux. En faire la distinction nous amène à une plus grande compréhension de notre manière de fonctionner.
Les croyances rassurent. Tout notre parcours terrestre est jalonné d’autant de croyances personnelles que de croyances populaires. Nous passons notre vie à nous conditionner de croyances dans le seul but de nous rassurer. La croyance est intimement rattachée au mental qui a besoin de se conforter dans son activité incessante. Et lorsqu’une croyance est adoptée par une population entière, on l’assimile à une vérité absolue, acquise. Mais au fond de chacun, le germe du doute subsiste et ronge l’édifice qui finit tôt ou tard par s’effondrer comme un château de cartes. Ainsi fonctionne notre société qui se plaît à évoluer dans le monde virtuel des croyances.
La liste est longue. Mais la croyance n’a rien d’authentique, elle est dogmatique. Elle est le fruit des civilisations et de notre mental qui dans la peur tente de s’apaiser en adhérant à tous les principes qui peuvent le rassurer : Je ne réussirai pas dans ma vie si je n’étudie pas, la souffrance est un passage obligé, je n’ai pas le droit d’être heureux, je ne le mérite pas, jamais je n’y arriverai, si je ne dors pas huit heures par nuit je serai fatigué, …
Comme chaque croyance est accompagnée de son cortège de peurs, nous les enchaînons sans fin pour pallier aux précédentes. Nous pourrions en remplir des pages entières et en rajouter à la liste chaque jour. Il n’est pas difficile de comprendre comment tant de limitations et de conditionnements sabotent toute espérance de bonheur.
La tête croit, le coeur sait. Ainsi dominés par notre mental, nous en oublions le voisin du dessous: notre coeur! Lui ne peut croire en rien, il ne peut que vivre ce qui l’habite. Lorsque vous croyez, vous n’êtes jamais dans le coeur. Croire en Dieu ne nous connecte pas à notre coeur, mais juste à nos peurs et nos doutes. Croire est purement cérébral.
On ne peut croire qu’en quelque chose d’incertain, car lorsque l’on est certain, on ne croit plus, on sait. Je ne dis pas : « Je crois que je respire », mais bien « Je sais que je respire« . Personne ne pourra jamais nous faire douter sur ce point. Et là, il n’est plus question de croyance, mais de foi.
C’était exactement ça ! Soit je sais, soit je ne sais pas. Mais si je ne sais pas, je n’ai besoin de croire ; les hypothèses, les théories me suffisent.
« Je n’y comprends pas grand-chose mais une théorie, c’est un peu comme un système de croyances, non ? Ca vient combler une réalité absente.
-Oui et non… Une théorie, en sciences physiques par exemple, s’appuie sur un formalisme mathématique pour tenter de décrire la réalité puis se confronter à l’expérimentation ou à l’observation. Il n’y a aucun doute sur la réalité et sur la présence des trous noirs, ou sur celle de particules chargées, à l’origine de l’électricité. Cette réalité n’est pas absente.
- Tu t’intéresses davantage au ‘comment’ qu’au ‘pourquoi’, peut-être… »
Bon point, chérie … Ai-je aussi besoin des croyances, alors, pour obtenir des réponses aux ‘pourquoi’ ? Humm… Je ne crois pourtant pas 'à' la théorie du Big Bang, je sais simplement que c’est la meilleure hypothèse actuelle ou la meilleure théorie qui puisse décrire le début de notre univers. Je ne crois pas 'à' la théorie du hasard de la physique quantique, c’est simplement la meilleure façon actuellement de décrire l’effondrement du comportement quantique de nos composants minuscules.
La différence entre croyances et théories tient peut-être aux degrés d’incertitude que l’on est prêt à accepter, ou à supporter.
« Et toi chérie, qu’en est-il de tes croyances?
- Je crains que l’on va manquer de temps ; tu as vu l’heure aussi, je pense. Je vais essayer d’y réfléchir dans la journée. De prime abord, et sans mauvais jeu de mots, je ‘crois’ dans la rationalité avant tout… A ce soir, chéri. Bonne journée.»
C’est évidemment un clin d’œil. Je l’ai dit, nous savons tous les deux qu’il y a croire et croire! Le ‘croire’ qui signifie ‘penser comme vrai’ et le ‘croire’ qui signifie ‘c’est absent, c’est indémontrable mais c'est assurément réel.’ Alors, penser comme vrai ou penser comme réel? Allez, je vais au bureau ; sinon je ‘crois’ que je vais aussi en retard…
Une fois prêt et coiffé, je ferme la porte principale, monte dans mon véhicule puis le fait démarrer. Depuis hier, l’utilisation du GPS n’est plus un geste automatique, mais réfléchi. Et aujourd’hui, je préfère l’activer pour consacrer quelques moments d’inattention de conducteur à quelques moments de réflexion philosophique. Dis autrement, je ‘crois’ dans mes aptitudes inconscientes à contrôler cet engin !
«Souviens-toi, l’ami : tu te demandais si la disparition de l’espèce humaine pouvait venir de ses systèmes de croyance trop fermés, trop figés, pas assez vivants». C’est vrai, merci Jiminy Cricket ! Mon interrogation de ce matin était de savoir si nous risquions de disparaître par manque de résilience cognitive ou culturelle ? Et le rêve de cette nuit m’a laissé l’image d’une espèce ou d’une civilisation plus sereine, plus spirituelle, plus aimante.
Est-ce que les systèmes de croyance que l’homme s’est construit sont dangereux, capables de nous nuire, dans le sens où ils auraient entamé notre capacité collective à surmonter les très grandes difficultés de la vie à venir (comme un grand traumatisme sociétal, une grande pauvreté mondiale, une pandémie grave) ?
Je demande consciemment, librement, à mon unité de contrôle inconsciente – celle qui traite des millions et des millions de bits d’information par seconde – de faire prendre au véhicule la sortie vers l’aire de repos puis de la stationner. Le moment est trop grave, pour faire prendre le risque à mon micro-processeur multi-corps UnTel de 'bugger' sur cette question ontologique !
« Jiminy, tu peux répéter STP ce que je viens d’élaborer?
- Bien-sûr l’ami : est-ce que les systèmes de croyance que l’homme s’est construit sont capables de vous nuire, dans le sens où ils auraient déjà entamé votre capacité collective à surmonter les très grandes difficultés de la vie à venir ? En gros, est-ce que vos différentes cultures vous rendent résilientes collectivement face à une adversité mondiale, ou pas?
- Et tu en penses quoi ?
- L’humanité ne sera pas résiliente, voyons ! Observe ce qui s'est passé pendant le Grand Confinement de 2020 ! »
Apaisantes croyances sur le plan individuel: le gentil cortex cingulaire antérieur informe chacun de nous que les événements qui ont lieu dans notre psyché correspondent à ce que nous attendions. Mais terrible fléau sur le plan collectif, mondial, et pour la survie de l’espèce : les sept milliards de cortex cingulaires antérieurs recherchent uniquement leur maximum local, aucunement le maximum de toute l’espèce !
Je suis dévasté, effondré, à mille lieux sous terre. Est-ce que je ‘vois’ juste ? Est-ce que ma pensée est juste ? Est-ce que je ‘crois’ cette pensée vraie ou est-ce que je la ‘crois’ réelle? Ou réellement vraie ? Impossible de repartir, d’aller au bureau et de prendre le travail sereinement. Je ne cherche pas comprendre si ce rêve reste le fruit de mon imagination ou s’il est prémonitoire, mais il m’a chamboulé.
Sous le choc, j’entends résonner les paroles du Lama Mingyar Dondup : «A chacun selon sa foi, à chacun selon ses besoins. La pompe des cérémonies religieuses est, pour beaucoup, une consolation, et nous ne devons pas condamner ceux qui n'ont pas encore assez avancé sur la Voie et qui ne sont pas encore capables de se tenir debout sans béquilles. »
Merci maître; loin de moi l’idée même de condamner les milliards de petites personnes que nous sommes. Mais ces milliards de béquilles – certaines en croix, d’autres en forme de croissant avec une étoile, d’autres à sept branches comme le Menorah, des béquilles en roues du Dharma, etc. – ces béquilles qui nous aident à tenir debout pourraient nous coûter très, très cher: la disparition de l’espèce toute entière.
Sur l’aire de repos, je décide de rejoindre l’espace dédié aux services. J’y reprends un café puis le sirote en déambulant devant le présentoir des livres, évidemment. Le nom de Fernando Pessoa attire tout de suite mon attention. Que vient faire une référence au grand poète portugais dans une aire de service française ? C’est une de ses citations concernant la religion qui intéresse l’auteur sur lequel je suis tombé : « l’humanité est [restée] païenne, jamais aucune religion ne l’a [vraiment] pénétrée. Le pouvoir de croire à la survie de l’âme n’est même pas dans l’âme de l’homme ordinaire. L’homme est un animal qui s’éveille sans savoir ni où ni pourquoi. »
Si c’est vrai, c’est encore pire, Monsieur Pessoa. Serions-nous en train de dire que la pompe des cérémonies religieuses est une consolation nécessaire pour une énorme majorité d’entre nous, qu’il nous faut cette béquille pour tenir davantage debout, pour espérer croire en un avenir meilleur, mais que cette béquille n’est pas suffisante? Parce qu’au final la grande majorité d’entre nous, l’humanité donc, est restée païenne ?
Si l’humanité toute entière doit traverser une épreuve encore plus dramatique que celle de 2020, il est possible qu’elle n’y survive pas, parce que ses systèmes de croyance, en ayant fait naître le radicalisme, l’intégrisme et l’intolérance, l’auront foncièrement affaiblie. Pour autant, ces idéologies n’alimentent que quelques-uns parmi nous; l’énorme majorité est restée païenne, agnostique, neutre, sans avis. L’humanité pourrait disparaître à cause d’une guerre idéologique, alors que les idoles et les idées devant lesquelles quelques-uns d’entre nous se prosternent sont de faux dieux[5]… ou de fausses (‘fake’) news.
A la pensée de Pessoa «L’homme est un animal qui s’éveille sans savoir ni où ni pourquoi», je rajoute «et qui pourrait tuer son semblable sans vraiment savoir pour qui ni pourquoi».
Mon téléphone se met à vibrer et je pense savoir pourquoi, étant donné l’heure avancée de la matinée. J’exerce mon libre arbitre, et décide de ne pas répondre. Pour dire quoi ? Je sais que je suis en retard et je n’ai pas envie de mentir. De toute façon je n’ai plus le cœur à me rendre au bureau. Je m’assieds sur un coin de chaise, dans l’espace ‘restauration’, et écris à propos de mes péripéties de la matinée. Je ‘crois’ – c’est-à-dire: je pense comme vrai – que j’ai reçu assez d’adrénaline pour le reste de la journée !
Finalement, si l’homme a pu être un animal religieux à ses débuts, s’il a pu croire en un Dieu du feu (appelé Héphaïstos et Vulcain par la suite) qui lui a apporté chaleur et pouvoir, ou s’il a pu croire en une Déesse de la moisson et des saisons capable de lui assurer de bonnes récoltes, il a perdu sa foi au fil des siècles ou il a préféré rester païen quand le monothéisme a voulu couper les têtes polythéistes.
Nos ‘leaders’ – prêtres, chefs de tribu, chefs religieux, chefs de gouvernement - ont peut-être été dupés : les hommes et les femmes de la masse leur ont peut-être fait ‘croire’ qu’ils acceptaient de se prosterner devant leurs idoles ou leurs faux dieux, alors qu’ils simulaient ou dédiaient leurs pensées et ‘prières’ à leurs proches, à leurs récoltes, à l’entraide, à l’altruisme.
Et si nos systèmes de pensée s’étaient renforcés au fil des siècles, s’ils s’étaient enrichis de la diversité des points de vue et des cultures ?
Et si les idéologies, avec leurs dimensions cognitives (C’est ainsi, ainsi soit-il !), morales (C'est bien; c'est mal) ou normatives (Il faut ; on doit), n’engageaient et n’enfermaient que ceux qui les ont conçues ?
Alors l’humanité serait bien plus résiliente face à ce danger idéologique qu’il n’y parait !
Et le ‘croire’ aurait graduellement basculé du ‘penser comme réel’ au ‘penser comme vrai’.
[1] Extrait de l’excellent blog de Lenuki : http://lenuki69.over-blog.fr/article-14203269.html [2] "Dans le plus simple appareil" désigne simplement ici le fait de ne pas avoir pris beaucoup de temps pour se préparer. Mon épouse est vêtue de sa robe de chambre ! [3] Pierre Mayol, ‘Qu’est-ce que croire ?’ (1997) [4] Publié le 1er janvier 2009 par André Baechler [5] Dans l’Ancien Testament, les prophètes ont souvent mis en garde le peuple d’Israël contre les « faux dieux », ceux qu’ils appelaient les « idoles ».
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